Densification douce

Promotoit : Quand on pense densification du tissu urbain, on se figure immédiatement de grandes tours d’habitation. En quoi la « densification douce » se distingue-t-elle de ce modèle ?

La densification douce est un phénomène qui a émergé il y a quelques années et qui prend une certaine ampleur. Elle désigne le processus par lequel des particuliers projettent pour eux-mêmes, pour leurs proches, quelquefois pour un revenu complémentaire, l’extension ou l’aménagement de leur maison existante, voire la construction d’une nouvelle maison sur leur terrain. En effet, pendant des années de blocages réglementaires et d’urbanisme conservatoire alimentés par une certaine opposition du voisinage, la seule alternative possible était de construire une maison neuve sur un lotissement gagné sur le foncier agricole. Mais depuis « l’explosion » du pavillonnaire, il y a près d’un demi-siècle, de nouvelles générations d’habitants cherchent aujourd’hui à construire un espace qui leur ressemble et corresponde à leur art de vivre.

La densification douce permet aujourd’hui d’intensifier le tissu pavillonnaire. En cela, elle apparaît comme plus vertueuse car elle rompt avec des années d’artificialisation des sols sans véritable limite. Évidemment, ce phénomène relativement nouveau doit être encadré afin de permettre de garder les qualités initiales de ces quartiers, notamment leur rapport au végétal, et la quiétude de leurs ambiances qui sont à juste titre toujours appréciées des habitants. Avec un urbanisme de projet qui n’oublie pas la règle, il peut désormais s’accompagner de la construction d’équipements, d’une offre de transports publics, de mutualisation de services, ainsi que d’une amélioration des réseaux existants qui seront devenus nécessaires. Il est en effet légitime de parler de densification douce lorsqu’il s’agit de transformer le « déjà-là », sans bouleversement excessif, le paysage urbain des quartiers où elle se développe afin que l’espace habité soit adapté à de nouvelles manières de vivre ensemble, qu’il s’agisse du voisinage immédiat ou de l’espace domestique.

En effet, le modèle de la famille nucléaire qui habite une maison aux combles souvent perdus dépendants du rez-de-chaussée cède la place à une organisation de l’espace domestique renouvelée avec des greniers redécouverts, des combles valorisés et autonomisés, accueillant ici une chambre d’adolescent qui prend son indépendance, là, un espace de travail, ailleurs une chambre à louer. La montée de la cohabitation et le télétravail suscitent ainsi des espaces nouveaux qui amplifient et valorisent tous les étages de la construction. Dès lors, ce qui se passe dans les toitures devient déterminant dans les projets de transformation qui n’altèrent pas l’aspect des quartiers de maisons individuelles tout en permettant à de nouveaux habitants et de nouvelles activités de s’y installer…

Promotoit : La toiture coiffe l’ouvrage, le singularise et l’ancre dans son territoire. Pourtant, elle est souvent regardée d’un point de vue fonctionnel ou performanciel, quitte à négliger sa dimension esthétique. Comment concilier ces deux approches ?

La toiture coiffe l’ouvrage, le singularise mais à l’inverse son aspect générique permet aussi de l’inscrire dans l’histoire et la géographie d’un territoire. Nous avons une image très précise du zinc et de l’ardoise du Paris Haussmannien, comme de celle des toitures de tuiles canal des villages de Provence, ou des maisons, manoirs et châteaux de tuiles plates en Normandie, en Alsace ou en Bourgogne… La matérialité des toits, leur couleur, leur forme révélées par la lumière caractéristique de ces régions disent également ce qui n’est pas visible, à savoir la structure et la charpente qui procèdent de savoirs anciens. La toiture est un indice d’appartenance à une culture, une identité qui ont façonné le paysage des territoires et des villes. Aujourd’hui, la toiture ne protège pas seulement, elle participe de la performance énergétique, elle récupère l’eau, elle renvoie ou capte le rayonnement solaire. Elle permet de recevoir la lumière naturelle et qualifie ainsi l’ambiance des bâtiments. Elle n’est pas seulement surface ou interface, elle est aussi par ses plis, ses brisis et sa géométrie, un espace d’entre-deux avec le ciel, les éléments, l’univers et le cosmos. Elle est donc à la fois ce qui nous relie au contexte, au local, au territoire comme elle nous renvoie à notre appartenance au monde et à l’univers…

Sabri BENDIMERAD – Architecte et Associé chez Paris U